46. Dana Scully (Gillian Anderson) - X-Files
- Lu.L
- 11 mai 2020
- 7 min de lecture

En ces temps douloureux d'enfermement et de repli - un sujet sur lequel je vais vous faire la grâce de ne pas m'étendre - les séries se révèlent un réconfort, pour moi en tout cas. C'est aussi une période propice à la nostalgie. Et depuis un certain temps, un temps qui, au demeurant, remonte "au monde d'avant" pour paraphraser TOUS les articles de presse sur la crise sanitaire, il est une nostalgie en vogue, partagée par de nombreux Français et Françaises nés dans les années 80 : celle de ce qui fut pour eux l'âge d'or des séries sur les chaînes hertziennes, à savoir la période de 1997 à 2006 pendant laquelle fut diffusée La Trilogie du Samedi sur M6. On repense, la larme à l'oeil, à Buffy, aux sorcières de Charmed, mais aussi au Caméléon et au Profiler. Moi, quand je pense à cette tranche de télévision unique, X-Files me vient tout de suite à l'esprit. Et pourtant, X-Files : Aux Frontières du Réel n'a jamais été programmée dans La Trilogie du Samedi, eh oui ! : elle était la série vedette des Samedis Fantastiques que La Trilogie... a finalement remplacé. À l'époque de la diffusion sur M6, je n'ai jamais pu regarder un seul épisode de X-Files en entier, j'étais bien trop effrayée par ces forces surnaturelles que devaient affronter Mulder et Scully. J'ai redécouvert la série il y a trois ans, grâce à un ami qui avait chez lui toutes les saisons en DVD.
Mulder et Scully...le duo d'agents du FBI le plus célèbre de la télévision, et leur bureau est à la cave ! Même celles et ceux qui ne connaissent pas la série ont entendu ces noms. Quant aux autres, ceux qui l'ont suivie, on peut discuter avec eux des effets spéciaux qui ont vieilli, des dernières saisons en trop, des épisodes sur la mythologie de la série ("mytharc") souvent rébarbatifs et de ceux, à mon avis les meilleurs, qui proposent une intrigue bouclée (les "monsters of the week")...un fait ne se conteste pas, c'est l'alliance formidable de la retenue scullyienne et de l'exaltation mulderienne que les acteurs ont immortalisé : le résultat d'une authentique alchimie.
The X-Files apparaît sur les écrans américains en septembre 1994. La série est produite et diffusée par la FOX. Elle est portée par le showrunner Chris Carter et ses nombreux.ses scénaristes, dont Vince Gilligan qui sera plus tard le créateur loué de Breaking Bad. Anthologique, la série aborde une multitudes de genres et de sujets passant de l'horreur au thriller, de la comédie au fantastique : y sont traitées en premier lieu, bien sûr, la question du paranormal et l'éventualité de l'existence des extraterrestres. Fox Mulder, dont la soeur aurait été supposément enlevée par ces derniers, dirige seul le bureau des affaires non-classées. Paranoïaque et obsédé par les ovnis, ses collègues au FBI lui ont donné le surnom de Spooky, littéralement "celui qui fait froid dans le dos". Dès le pilote, on lui impose une collaboratrice, une dénommée Dana Scully, nouvelle recrue candide mais gentiment sceptique face à sa logorrhée pseudo-métaphysique. Clairement, elle est là pour les surveiller, lui et son obsession des petits bonhommes verts.
Antagonistes mais évidemment complémentaires (la série repose d'ailleurs entièrement sur ce principe), Mulder et Scully vont désormais passer beaucoup de temps à débattre sur le mystère et l'expérience de la rationalité face à des situations et des personnages pour le moins rocambolesques. Fox respecte sa partenaire, ses compétences et ses théories même quand elles s'opposent aux siennes. Il la considère comme son égal. Il s'en méfie dans les premiers épisodes, non pas parce qu'elle est une femme (même si le personnage n'est pas exempt d'une certaine misogynie) mais parce qu'elle est docteur, cartésienne, s'accroche aux principes scientifiques et aux preuves alors que lui, eh bien...he wants to believe.
Cette inversion des genres est évidemment le coup de maître de Chris Carter et une nouveauté dans le paysage audiovisuel : c'est ici le personnage féminin qui détient le principe de rigueur scientifique face aux événements, quand son contradicteur, lui, est un homme qui se repaît des théories les plus farfelues et complotistes. L'ironie voudra que dans les dernières saisons de la série, par ailleurs totalement indigestes, les créateurs du show se soient évertués à démontrer que c'est bien Mulder qui avait raison depuis le début, et que le complot autour d'eux est mondial et paranormal (voir le mytharc et le personnage de l'homme à la cigarette). Ce renversement des genres opéré par Carter est parfaitement maîtrisé par Gillian Anderson, sévère et déterminée, et par son confrère David Duchovny qui apporte au rôle de Mulder une vulnérabilité charmante.
Et pourtant, en 92, avant le début du tournage, Carter se bat pour imposer Anderson auprès des dirigeants de la FOX : d'après eux, elle est trop petite, trop rousse, son visage est trop poupin et elle n'a pas assez de poitrine, Elle a aussi 24 ans et très peu d'expérience dans le métier, c'est une inconnue. Mais le créateur de la série a fait son choix, il sait depuis leurs essais ensemble que le tandem Duchovny/Anderson fonctionne à merveille, il ne cède pas d'un pouce. La FOX finit par accepter mais Carter doit faire des compromis : dans son contrat, Anderson se voit contrainte de marcher toujours quelques pas derrière Duchovny quand ils tournent. Cela se vérifie dans les plans célèbres où l'on voit nos deux héros se déplacer dans de sombres couloirs, revolvers et lampes de poche à la main. Le personnage de Scully est d'abord envisagé "comme un second rôle qui assiste Mulder"*¹. Le duo dans la première saison fonctionne un peu comme Sherlock Holmes et John Watson. Dana Scully est ingénue, totalement fascinée par Mulder (voire même énamourée), et on perçoit à chaque plan le manque d'expérience de la jeune docteure qui fait écho à celui de la comédienne. L'équilibre à l'écran ne se fait pas tout de suite.

Dès sa sortie, la série suscite une véritable fascination aux Etats-Unis et à l'international. L'impact est incroyable et le duo d'acteurs encensé par le public et la critique. On est donc en 94, Buffy n'est pas encore arrivée, et rares sont les personnages féminins télévisuels qui ont autant de force et de présence à l'écran. Anderson obtient le statut de premier rôle à l'instar de Duchovny. Il lui faudra encore trois ans pour obtenir l'égalité salariale après une lutte acharnée et de nombreuses confrontations avec la FOX : une première dans le monde de la télévision et du cinéma, bien avant Me Too et la tribune de l'actrice Jennifer Lawrence "Pourquoi je gagne moins que mes collègues masculins?"*². Mais, et quelle fut mon incrédulité quand j'eus vent de cette information, en 2015, alors qu'on leur proposait de jouer dans une nouvelle mini-saison d'X-Files (la dixième), Anderson s'est vue offrir, encore une fois, la moitié du salaire de Duchovny. Heureusement, les négociations pour une égalité plus que méritée ont été moins ardues et moins longues, la FOX concédant enfin que la série ne pouvait décemment exister sans son actrice phare.
Alors bien sûr, quand on regarde le show aujourd'hui avec un oeil féministe aiguisé, il y a bien quelques problèmes : pourquoi une jeune femme aussi avisée se laisse t'elle ainsi convaincre de suivre son collègue clairement siphonné dans ses aventures improbables ? Vous me direz, son côté foldingue est ce qui fait son charme. Elle est à la fois la protégée de Mulder et sa protection contre la folie, prenant tous les rôles en charge : celui de la soeur, de la mère, de l'amie et pour finir, bien que Carter ait repoussé ce moment le plus possible, celui de l'amante. Cela fait beaucoup pour une seule femme, vous en conviendrez. Plus madonne que séductrice, Anderson n'est jamais objectifiée, malgré le risque encouru dans certains épisodes.
La très capable Scully a cependant révolutionné le personnage féminin et la vision que les femmes ont d'elles-même, qu'on le veuille ou non. Pour preuve, le fameux Scully effect*³ et son influence sur les ambitions professionnelles : on a constaté, après la diffusion de la série aux Etats-Unis, que plus de femmes osaient se lancer dans des carrières STIM (pour Sciences, Technologie, Ingénierie et Mathématiques).
Comme toujours, c'est l'histoire d'un personnage mais aussi celui d'une actrice. Gillian Anderson, américano-anglaise, flegme britannique et froideur compassée, voix légèrement sourde et cassée, s'est révélée être la comédienne parfaite pour le rôle. Mais son talent ne s'est jamais démenti par la suite et ses choix ont souvent été judicieux (Great expectations, The Fall, Sex Education*⁴, etc.) On la verra bientôt dans la quatrième saison du hit de Netflix, The Crown, dans lequel elle interprétera le rôle de Margaret Thatcher. Enfin, quand Daniel Craig a annoncé son retrait de la franchise James Bond il y a deux ans, et affirmé que le personnage pouvait être tenu par une femme, de très nombreux internautes ont voté en faveur d'Anderson. Cela illustre fort bien, à mon sens, que dans l'esprit des gens, une femme peut aujourd'hui passer du rôle d'agent du FBI mal fagoté à celui d'agent du MI6 en costard très bien taillé. En voilà une bonne nouvelle ! (À ce jour, on ne sait toujours pas qui va remplacer Daniel Craig, et ce ne sera certainement pas Gillian Anderson).
Et pour se faire plaisir, on finit cet article avec le générique de X-Files, immortalisé par la musique de Marc Snow. Bon déconfinement à vous !
*¹ Article du Figaro - TV Mag : https://tvmag.lefigaro.fr/le-scan-tele/series/2016/01/25/28005-20160125ARTFIG00198--x-files-gillian-anderson-a-du-se-battre-pour-obtenir-le-meme-salaire-que-david-duchovny.php
*² Blog de Lena Dunham Lenny Letter : https://www.lennyletter.com/story/jennifer-lawrence-why-do-i-make-less-than-my-male-costars
*³ Article sur le site de la FOX : https://www.fox.com/the-x-files/the-scully-effect-study/ et article de Slate : http://www.slate.fr/story/160579/effet-scully-x-files-carrieres-femmes
*⁴ Great Expectations est une mini-série créée en 2011 par Brian Kirk et diffusée sur BBC One. The Fall est une série créée en 2013 par Allan Cubitt et diffusée sur BBC Two. Sex Education (Laurie Nunn) et The Crown (Peter Morgan) sont des programmes Netflix dont la diffusion est encore en cours. Les quatres shows sont britanniques.
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