50. Zoë Washburne (Gina Torres) - Firefly
- Lu.L
- 14 déc. 2016
- 4 min de lecture

Quand on pense aux personnages créés par Joss Whedon pour la télévision, nous reviennent toujours en mémoire Buffy la tueuse de vampires ou Echo, la "poupée" formatée pour tuer et interprétée par Eliza Dushku dans Dollhouse...On oublie souvent qu'entre ces deux séries il y a eu Firefly, sorte de western intergalactique, peut-être le show le plus abouti et le plus bizarre de Whedon bien qu'il n'ait duré qu'une saison, les producteurs de la FOX le jugeant trop sombre. Et Firefly, c'est Nathan Fillion beau comme un camion, mais c'est aussi Gina Torres dans le rôle de Zoë Washburne.
Le Firefly (la Luciole en français), c'est d'abord le type de vaisseau spatial à bord duquel vivent des marginaux sympathiques, chasseurs de contrats en tout genre, corsaires de l'espace déguisés en cowboys. Ils sont les archétypes de bad asses que les Américains adorent, et nous avec eux!: malins, coriaces, ils se relèvent toujours quand on les croit définitivement à terre...mais Fillion apporte une certaine douceur au personnage du capitaine Malcolm Reynolds, héros dont la sensibilité contamine ses acolytes. Mal' a bien compris que la survie à bord du Serenity, son vaisseau adoré, dépend du collectif et des qualités propres à chacun qu'il sait mettre en valeur. De ce fait, son approche des événements et/ou problèmes rencontrés en début de chaque épisode est toujours mesurée et morale, il met ses intérêts personnels de côté pour servir les intérêts communs à tous les membres de son équipage. Si chaque décision est discutée plus ou moins démocratiquement, il ne tolère cependant pas l'insubordination: ils ont beau être des parias, Mal', ancien lieutenant, a bien assimilé les structures hiérarchiques de l'armée. En cela, il représente un leader positif bien qu'autoritaire: réfléchi, bienveillant et juste, il est à même de susciter la loyauté sincère qu'il exige de ses subordonnés. C'est un personnage "presque" parfait.
On peut imaginer que dans un souci d'équité et de réalisme, bien que Whedon nous serve toujours des scénarios délirants!, ce dernier n'ait pas voulu faire de Mal', en plus de toutes ses qualités, le meilleur guerrier de la bande. Ce rôle revient donc à son bras-droit (et ancienne camarade sécessionniste pendant la guerre contre l'Alliance*¹), la baroudeuse Zoë Washburne. Dure à cuire, as de la gâchette, bien plus intelligente que cette brute de Jayne (Adam Baldwin) qui prétend à son titre de second, Zoë est la vraie bad ass de Firefly.
Elle et Mal', deux vétérans donc, ne sont d'ailleurs pas sans rappeler ces grands couples masculins, très présents dans la littérature britannique puis dans le cinéma hollywoodien, que forment l'officier et son adjudant. Tout dans leur relation nous l'évoque: déférence à l'égard du chef, infaillible amitié qui se substitue parfois à leurs relations amoureuses (voir l'épisode 9, War Stories, où Zoë doit choisir de sauver son mari Wash ou son capitaine). Et ceci, à une différence majeure près que vous n'aurez pas manqué de noter, l'adjudant est une femme.
Zoë, donc, trouve sa place dans la lignée des personnages féminins "who kick asses" créés par Joss Whedon. Mais bien qu'il ait toujours clamé son attachement aux valeurs féministes*², ses personnages féminins sont actuellement critiqués, Buffy en premier lieu et à travers elle, Echo et Zoë. Ses héroïnes ne posséderaient en réalité que des qualités dites masculines (courage, force, sang-froid, etc.) dans des corps aux proportions parfaites. L'influence de Lara Croft, l'héroïne de Tomb Raider (1996), sur le personnage de Zoë (2002) et parfaite allégorie du féminisme "un pas en avant, deux pas en arrière", ne fait pas de doute. Zoë est le pote cool et loyal rêvé mais elle est aussi ultra féminisée et désirable, en plus d'être mariée et fidèle: elle combine tous les attributs de ce qu'on pourrait appeler le "fantasme du geek".
Quoiqu'en grande partie d'accord avec cette analyse, j'y opposerais tout de même deux objections. Premièrement, on oublie que les séries de Whedon sont majoritairement produites par les networks*³ américains sur lesquelles elles sont diffusées, ce qui sous-entend un grand nombre de directives imposées au showrunner, notamment dans le choix de l'intrigue et des acteurs/actrices. Ces directives visent souvent à décomplexifier l'oeuvre originale pour en extraire des figures stéréotypées: le but avoué est de la rendre plus accessible à un large public. Deuxièmement, Zoë Washburne, loin d'être girly comme pouvait l'être Buffy Summers, est à mettre en relief avec les autres personnages féminins de la série, très différents les uns des autres:
- Kaylee, la gentille mécano, autrement moins "virile" que Zoë mais aussi moins conventionnelle de par sa sexualité décomplexée,
- Inara, la courtisane érudite et bisexuelle que Mal' désire ardemment et rejette à la fois en raison du métier qu'elle exerce,
- et River, la fragile et inquiétante sœur du jeune docteur à bord, recherchée par l'Alliance pour ses aptitudes hallucinantes. Cette dernière, personnage quasi asexué, est omnisciente et omnipotente: à ce stade-là, elle est plus déesse que femme.
Ce procédé de caractérisation où chacun représente un archétype et des qualités bien différenciées s'applique aussi aux personnages masculins. Zoë n'est pas brillante comme River, ni subtile comme Inara ou accessible et chaleureuse comme Kaylee, mais elle est une figure d'autorité incontestable, et c'est dans cette dimension-là qu'elle existe pleinement. C'est un personnage rugueux, taciturne, presque minéral, et, d'une certaine façon, plus "viril" que les personnages de Mal' ou de Wash. Cela s'avère être, malgré tout, peu ordinaire si on compare Firefly avec les shows "networkiens" de la même époque. À cela s'ajoute la contribution de l'actrice Gina Torres, qui impose le respect par son naturel malicieux et légèrement sarcastique dans une série étrange et un peu barrée à ne surtout pas prendre au premier degré.
*¹ En 2510, Mal' et Zoë ont combattu aux côté des rebelles face à l'Alliance (Chine et États-Unis) qui voulait s'attribuer le monopole de leur système stellaire, rien de moins. Les rebelles sécessionnistes ont perdu la guerre lors de la bataille de la Serenity Valley, d'où le nom du vaisseau Firefly de Mal'.
*² Article Vanity Fair: http://www.vanityfair.fr/people/vanity-man/diaporama/10-hommes-fministes/20796#10-hommes-feministes
*³ Networks: Aux États-Unis, réseaux nationaux de télévision privés qui prédominent sur l'ensemble de la télévision hertzienne gratuite (ou broadcast television). Les 5 réseaux principaux sont ABC, CBS, NBC, FOX et CW.
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